traces

Marquer la pierre, y creuser des sillons pour qu’une autre forme de vie s’y étende. Graver la pierre, effriter ce qui pourtant soutient. Se prouver notre agentivité en abaissant toujours l’autre. Tu soutiens mais moi avec un ongle je te gratte, et si je continue un jour tu ne sera plus. Marquer pour montrer son passage, dire j’ai été là, j’ai contribué, on m’a mis à contribution, on m’a utilisé, j’ai choisi d’être là, on m’a entreposé là, j’ai voulu venir ici, j’ai appris ici, j’ai construit ici, on a construit sur moi, j’ai créé cette voûte, je ne connais plus que cette voûte, on m’a stocké là.

Entendre des voix quand le vent souffle sur le crépis qui ne tient plus. Lire du bout des doigts les souvenirs soupirés qui imprègnent la pierre poreuse. Se sentir bien là où tant se sont sentis mal. Admirer la carte d’un monde qui n’existe que dans sa tête. Chercher les formes dans les nuages de croûtes attachées aux moellons mal dégrossis. Se demander pourquoi les pierres ont accepté un manteau si mal taillé, pourquoi n’ont-elles pas monté une mutinerie, pourquoi n’ont-elles pas décidé de pleuvoir sur les têtes de ceux qui avaient abrégé leurs repos et les avaient méticuleusement découpées et arrachées à la montagne matrice.

Intéressons-nous aux traces, aux éclats causés par la dynamite dans les entrailles de la roche, aux lignes de calcaires, aux tags qui crient NO GENDER dans la Rave Cave des souterrains allemands, aux insignes des villes de Hambourg et Berlin gravées sur les pierres du chemin de ronde, aux morceaux de coquillages de la pierre de cassis, aux bâtonnets barrés pour compter les jours dans une cellule sans fenêtre.